Science in Society Archive

Développement durable

Rendre le monde soutenable et durable

Dr. Mae-Wan Ho Groupe de Biophysique, Département de Pharmacie, King's College, Londres

Le texte original en anglais et les références sont accessibles sur le web par : https://www.i-sis.org.uk/MTWS.php

Résumé

Des décennies d'une économie environnementale de " bulle financière " basée sur une surexploitation des ressources naturelles a accéléré le réchauffement climatique, la dégradation de notre environnement, l'épuisement des ressources en eau et en pétrole et conduit à une baisse des rendements agricoles, risquant de nous précipiter dans une crise vis-à-vis de la sécurité alimentaire du monde, et sans offrir de perspectives quant à l'amélioration par le monde économique et des affaires, selon un scénario habituel.

Il y a néanmoins une richesse en matière de connaissances disponibles capable de rendre notre système alimentaire soutenable et durable  : il peut non seulement nous garantir la sécurité et la santé pour tous, mais il peut également, sur le long terme, aller vers une atténuation du réchauffement climatique en empêchant les émissions de gaz à effet de serre et en créant de nouveaux stocks et puits de carbone .

L'un des obstacles les plus importants pour mettre en application les connaissances disponibles est le modèle dominant de la croissance sans mesure et non équilibré qui a déjà échoué au contact des réalités. Je décris ici un système de culture intégré et hautement productif : il est basé sur le fait de maximiser les intrants d'origine interne pour illustrer une théorie de croissance organique ou biologique soutenable comme alternative au modèle dominant actuel.

Il faut s'attendre à un effondrement du système de production alimentaire actuel

Le rendement en grains du monde a chuté au cours de quatre années successives de 2000 à 2003, comme conséquence de l'élévation des températures, ce qui a conduit aux plus basses réserves disponibles depuis trente ans [ 1 ]. La situation ne s'est pas améliorée en dépit d'une moisson exceptionnelle en 2004, qui était juste suffisante pour satisfaire la consommation mondiale. Les experts prévoient [ 2 ] que le réchauffement planétaire est susceptible de conduire à des dommages bien plus importants pour la production de nourriture que "même les plus sombres prévisions précédentes" ne l'annonçait. Une équipe internationale de scientifiques, spécialisés dans les problèmes de production et de récoltes, et travaillant en Chine, en Inde, aux Philippines et aux Etats-Unis, avaient déjà rapporté que les rendements des récoltes chutent de 10 pour cent pour chaque degré d'augmentation de la température nocturne pendant la période de croissance [ 3 ].

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ( GIEC ou, en anglais, IPCC = International Panel for Climatic Change ) a prévu en 2001 que la température moyenne de la terre s'élèverait de 1,4° à 5,8° C dans la courant de ce siècle [ 4 ]. En 2003, une conférence qui s'est tenue à la Royal Society à Londres, nous a indiqué que le modèle du GIEC ne prend pas en compte la nature brusque du changement de climat, que celui-ci pourrait se produire dans un délai estimé en décennies, voire en années [ 5 ]. En janvier 2005, un groupe de chercheurs basés à l'Université d'Oxford au Royaune-Uni, ont prédit une plus grande élévation de la température, de l'ordre de 1,9° à 11,5°, si, au cours de ce siècle, le niveau de gaz carbonique dans l'atmosphère, qui s'élève actuellement à 379 parties par million, double son taux de la période préindustrielle [1000-1750], qui était de 280 parties par million [ 6 ].

L'économie environnementale de " bulle financière ", qui a été établie sur une exploitation non soutenable de nos ressources naturelles, est destinée à s'effondrer, selon Lester Brown, de l'Institut Politique de la Planète Terre ( Earth Policy Institute ) [ 7 ]. La tâche qui consiste à reconvertir notre système de production alimentaire pour le rendre soutenable ou durable, doit être abordée à grande vitesse "comme en temps de guerre".

Il a récapitulé succinctement les retombées et conséquences de l'économie environnementale avec la bulle financière [ 8 ]: " effondrement des pêches, diminution des forêts, extension des déserts, élévation des taux de gaz carbonique CO2, érosion des sols cultivables, élévation du niveau des températures, action sur les chutes d'eau, fonte des glaciers, détérioration des prairies, élévation du niveau des mers et océans, tendance à l'assèchement de rivières et de fleuves et disparitions d'espèces vivantes ."

Dans un trop grand nombre des régions principales de production alimentaire à travers le monde, telles que les greniers à grains de la Chine, de l'Inde et des Etats-Unis, les pratiques agricoles conventionnelles, comprenant une irrigation abondante, ont sévèrement épuisé les réserves des eaux souterraines [ 7, 8 ].

Dans le même temps, la production mondiale de pétrole semble avoir atteint son pic de production [ 9 ]; on s'attend à ce que le prix du pétrole atteigne un sommet de 58 $ états-uniens le baril au 4 avril 2005, et s'élève à 100 $ états-uniens le baril dans un délai de deux ans [ 10 ]. Ceci signifie une menace imminente pour l'agriculture industrielle conventionnelle, qui dépend, à la fois et fortement, du pétrole et d'eau.

Notre système actuel de production alimentaire est un legs de l'agriculture à taux d'intrants élevés résultant de la révolution verte, aggravée et favorisée par les politiques agricoles qui bénéficient d'abord aux sociétés transnationales de l'agrofourniture, et aux dépens des producteurs agricoles [ 11, 12 ]. Ses coûts réels deviennent évidents (voir l'encadré 1).

Encadré 1

Coûts réels des systèmes industriels de production alimentaire

  • 1.000 tonnes de l'eau sont consommées pour produire une tonne de grains [ 13 ]
  • 10 unités d'énergie sont dépensées pour chaque unité d'énergie dans les aliments qui arrivent sur notre table [ 14, 15 ]
  • Jusqu'à 1.000 unités énergétiques sont employées pour chaque unité d'énergie dans les produits alimentaires transformés [ 16 ]
  • 17% de l'énergie totale utilisée aux Etats-Unis entre dans plus la production de nourriture et la distribution, comptabilisée à 20% du total des transports dans le pays; ceci exclut l'énergie utilisée dans les importations et les exportations [ 17 ]
  • 12,5 d'unités d'énergie sont gaspillées pour chaque unité d'énergie de nourriture transportée par frêt aérien (par mile ou 1,6 km) [ 18, 19 ]
  • Les politiques agricoles communes de l'Union Européenne et de l'Organisation Mondiale du Commerce maximisent les échanges de produits alimentaires, ce qui a pour résultat un scandaleux "troc alimentaire" [ 20, 21 ]
  • Jusqu'à 25% de gaz carbonique CO2 , 60% du méthane CH4 et 60% du N 2 O dans le monde proviennent de l'agriculture actuelle[ 22 ]
  • 318 milliards de $ états-uniens, provenant de l'argent des contribuables, ont été dépensé pour subventionner l'agriculture dans des pays membres de l' OCDE en 2002, alors que, dans le même temps, plus de 2 milliards de paysans dans les pays en voie de développement s'efforcent de survivre avec 2 $ états-uniens par jour [ 11, 23 ]
  • Près de 90% des subventions agricoles bénéficient à des sociétés et à de grands exploitant cultivant des aliments pour l'exportation; tandis que 500 exploitations familiales ferment chaque semaine aux Etats Unis [ 11 ]
  • Des surplus de nourriture subventionnée sont exportés vers des pays en voie de développement où ils sont à l'origine, sur une très grande échelle, de la pauvreté, de la faim et de pauvres sans abris [ 11 ]

Les avantages des systèmes soutenables ou durables de production alimentaire pour chacun de nous

La tâche la plus pressante pour l'humanité est de mettre en place notre production alimentaire de manière soutenable ou durable ; c'est également la clef pour garantir une bonne santé publique et individuelle, pour une limitation du réchauffement climatique et pour sauver la planète de cette exploitation destructrice. Comme Gustav Best , le coordinateur senior pour les problèmes énergétiques de la FAO l'a précisé [ 22 ], l'agriculture est affectée par le changement climatique, elle contribue beaucoup et directement aux gaz à effet de serre directement, mais correctement conduite, elle peut jouer sur le long terme un effet régulateur sur le réchauffement climatique.

Les avantages des systèmes soutenables de production alimentaire deviennent évidents [ 24 ] (voir l'encadré 2). Il y a des opportunités majeures pour réduire les consommations d'énergie, pour rendre notre système alimentaire beaucoup plus efficace en matière d'énergie et même pour mettre à disposition de l'énergie en convertissant les déchets agricoles en de riches éléments fertilisants afin d'accroître la productivité, ce qui, dans le même temps, réduit des émissions de gaz à effet de serre, tout en augmentant les stocks et des puits de carbone .

Encadré 2

Quelques avantages des systèmes soutenables de production alimentaire

  • On peut prédire 2 à 7 fois d'économie d'énergie en passant à une agriculture biologique à faible taux d'intrants [ 17, 25 ]
  • 5 à de 15% des émissions globales de carburants fossiles sont compensées par la séquestration du carbone dans le sol dans un système d'exploitation biologique [ 26 ]
  • 5,3 à 7,6 tonnes d'émissions de gaz carbonique sont supprimées pour chaque tonne d'engrais azoté qui est économisée [ 27 ]
  • On peut stocker jusqu'à 258 tonnes de carbone par hectare dans les forêts tropicales [ 28 ], qui en outre, séquestrent 6 tonnes de carbone par hectare par an [ 29 ]
  • Les digesteurs de biogaz fournissent l'énergie et transforment les déchets agricoles en de riches éléments fertilisants dans des exploitations agricoles sans intrants ni émissions [ 30 ]
  • 625 mille tonnes d'émissions de gaz carbonique ont évitées tous les ans au Népal en récupérant le biogaz à partir des déchets agricoles [ 31 ]
  • Des rendements multipliés par 2 à 3 en Ethiopie par une utilisation de compost, ce qui surpasse les résultats obtenus avec des engrais chimiques [ 32 ]
  • Aux Etats-Unis, l' agriculture biologique donne des résultats comparables ou meilleurs qu'avec l'exploitation conventionnelle de type industriel [ 33, 34 ], et tout particulièrement en période de sécheresse [ 35 ]
  • En Europe, les exploitations conduites en agriculture biologique accueillent plus d'oiseaux, de papillons, de coléoptères, de chauves-souris et de fleurs sauvages que dans les exploitations conventionnelles [ 36 ]
  • Les aliments issus de l'agriculture biologiques contiennent plus de vitamines, de minéraux et d'autres oligo-éléments, ainsi que davantage d'antioxydants par rapport aux produits de l'agriculture conventionnelle [ 37-40 ]
  • 1.000 fermes soutenues par des communautés locales, à travers tous les Etats-Unis et le Canada, apportent un revenu de 36 millions de $ états-uniens par an directement aux exploitations [ 41 ]
  • Au Royaume Uni, de 50-78 millions de livres sterling entrent directement dans la poche des producteurs commerçant sur environ 200 marchés établis par des fermiers locaux [ 41 ]
  • Le fait d'acheter des produits alimentaires sur le marché des fermiers locaux, génère deux fois plus pour l'économie locale que la nourriture achetée dans les chaînes de supermarchés [ 42 ]
  • L'argent dépensé avec un fournisseur local équivaut à quatre fois l'argent dépensé avec un fournisseur extérieur [ 43 ]

Le modèle dominant n'est pas soutenable ni durable

Il y a une richesse dans les connaissances existantes et disponibles qui pourraient garantir la sécurité alimentaire et la santé pour tous et qui pourraient atténuer de manière significative le réchauffement climatique. Malheureusement, nos représentants élus sont avant tout des adeptes du modèle néo-libéral qui est en premier lieu à l'origine de la bulle financière et économique. Ils manquent de sagesse et de volonté politique pour faire la modification structurelle et politique qui est requise pour mettre en application ces connaissances.

C'est pourquoi l'Institut de la Science dans la Société ( ISIS ) et le Jury pour une Science Indépendante ( ISP ) ont lancé une " Initiative Globale pour un Monde Soutenable " afin créer une opportunité pour des scientifiques de toutes les disciplines, de joindre leurs forces avec tous les secteurs de la société civile , dans le but de rendre notre système d'alimentation soutenable [ 44 ].

Nous visons à produire un rapport complet à la fin de l'année qui présentera la base des connaissances existantes ainsi que les politiques socio-économiques et politiciennes, ainsi que les changements structurels qui sont requis pour mettre en application, pour tous, les systèmes soutenables d'alimentation. Le lancement de cette conférence a eu lieu au Parlement Britannique le 14 juillet 2005. Se reporter au compte-rendu disponible par : https://www.i-sis.org.uk/isp/SustainableWorld2ndAnnouncement.php ).

Le modèle économique dominant glorifie la compétitivité et la croissance illimitée comportant l'exploitation la plus dissipative et la plus destructrice des ressources naturelles de la terre qui a abouti à des gaspillages des terres agricoles et à l'appauvrissement de milliards de personnes.

Une étude pour l'Institut de Recherche pour la Politique Alimentaire Internationale révèle que, chaque année, 10 millions d'hectares de terres cultivables dans le monde entier sont abandonnés du fait de l'érosion de sol et que 10 millions d'autres hectares sont endommagés de façon critique par la salinité en raison de l'irrigation et/ou des méthodes de drainage inappropriées. Ceci s'élève à plus de 1,3 pour cent des terres cultivables perdus annuellement; et le remplacement des terres perdues compte pour 60% du déboisement massif qui se manifeste actuellement dans le monde entier [ 45 ].

Le fait de pratiquer la déforestation libère des stocks massifs de carbone vers l'atmosphère, transformant des stocks et puits de carbone en sources. Quelques évaluations ont placé le stock de carbone total des forêts tropicales secondaires à des valeurs aussi élevées que 418 tonnes de carbone par hectare, en comprenant le carbone organique du sol et le carbone est séquestré à raison de 5 tonnes par hectare et par an [ 46 ]. Une modification dans l'utilisation des sols représenterait 14% de toutes les émissions de gaz à effet de serre [ 4 ].

L'Organisation Mondiale de la Santé estime que plus de 3 milliards de personnes sont sous-alimentées et mal nourries (manquant de calories, de protéines, de fer, d'iode et/ou des vitamines A, du groupe B ainsi que de vitamines C et D). Parmi ceux-ci, 850 millions de personnes souffrent réellement de la faim (malnutrition énergétique et protéique) [ 47 ]. La cause principale de la faim est la pauvreté. Environ 1,08 milliards de personnes pauvres, dans les pays en voie de développement, vivent avec moins de 1 $US, ou moins; chez ces derniers, 798 millions d'habitants sont chroniquement affamés.

Le plus grand obstacle pour mettre en place un système alimentaire soutenable ou durable est peut-être l'engagement permanent dans le modèle économique dominant qui a échoué de façon si patente au contact des réalités. Nous avons d'ores et déjà enregistré sur le terrain beaucoup de réalisations positives – de véritables histoires à succès -, et j'ai décrit l'une d'entre elles brièvement par ailleurs (voir " Dream farms ", [30]).

[ ¤ La version en français est intitulée " La ferme visionnaire – Une proposition : Comment faire face au changement climatique et imaginer l'économie après la fin des combustibles et carburants fossiles " ; elle est accessible sur les sites suivants : www.indsp.org/pdf/DreamFarm-2-FR.pdf et www.apreis.org/actu_vf.html ]

Cela illustre plus concrètement un modèle alternatif de croissance équilibrée, soutenable ou durable , que j'ai élaboré au cours des huit dernières années [48-51], et qui vient d'être présenté récemment avec la collaboration de l'écologiste Robert Ulanowicz [52] dans sa forme définitive…

Communiqué de presse de l'institut ISIS en date du 29/06/2005

Source : Making the World Sustainable . Internet : https://www.i-sis.org.uk/MTWS.php

Résumé

Des décennies d'une économie environnementale de " bulle financière " basée sur une surexploitation des ressources naturelles a accéléré le réchauffement climatique, la dégradation de notre environnement, l'épuisement des ressources en eau et en pétrole et conduit à une baisse des rendements agricoles, risquant de nous précipiter dans une crise vis-à-vis de la sécurité alimentaire du monde, et sans offrir de perspectives quant à l'amélioration par le monde économique et des affaires, selon un scénario habituel.

Il y a néanmoins une richesse en matière de connaissances disponibles capable de rendre notre système alimentaire soutenable et durable  : il peut non seulement nous garantir la sécurité et la santé pour tous, mais il peut également, sur le long terme, aller vers une atténuation du réchauffement climatique en empêchant les émissions de gaz à effet de serre et en créant de nouveaux stocks et puits de carbone .

L'un des obstacles les plus importants pour mettre en application les connaissances disponibles est le modèle dominant de la croissance sans mesure et non équilibré qui a déjà échoué au contact des réalités. Je décris ici un système de culture intégré et hautement productif : il est basé sur le fait de maximiser les intrants d'origine interne pour illustrer une théorie de croissance organique ou biologique soutenable comme alternative au modèle dominant actuel.

Il faut s'attendre à un effondrement du système de production alimentaire actuel

Le rendement en grains du monde a chuté au cours de quatre années successives de 2000 à 2003, comme conséquence de l'élévation des températures, ce qui a conduit aux plus basses réserves disponibles depuis trente ans [ 1 ]. La situation ne s'est pas améliorée en dépit d'une moisson exceptionnelle en 2004, qui était juste suffisante pour satisfaire la consommation mondiale. Les experts prévoient [ 2 ] que le réchauffement planétaire est susceptible de conduire à des dommages bien plus importants pour la production de nourriture que "même les plus sombres prévisions précédentes" ne l'annonçait. Une équipe internationale de scientifiques, spécialisés dans les problèmes de production et de récoltes, et travaillant en Chine, en Inde, aux Philippines et aux Etats-Unis, avaient déjà rapporté que les rendements des récoltes chutent de 10 pour cent pour chaque degré d'augmentation de la température nocturne pendant la période de croissance [ 3 ].

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ( GIEC ou, en anglais, IPCC = International Panel for Climatic Change ) a prévu en 2001 que la température moyenne de la terre s'élèverait de 1,4° à 5,8° C dans la courant de ce siècle [ 4 ]. En 2003, une conférence qui s'est tenue à la Royal Society à Londres, nous a indiqué que le modèle du GIEC ne prend pas en compte la nature brusque du changement de climat, que celui-ci pourrait se produire dans un délai estimé en décennies, voire en années [ 5 ]. En janvier 2005, un groupe de chercheurs basés à l'Université d'Oxford au Royaune-Uni, ont prédit une plus grande élévation de la température, de l'ordre de 1,9° à 11,5°, si, au cours de ce siècle, le niveau de gaz carbonique dans l'atmosphère, qui s'élève actuellement à 379 parties par million, double son taux de la période préindustrielle [1000-1750], qui était de 280 parties par million [ 6 ].

L'économie environnementale de " bulle financière ", qui a été établie sur une exploitation non soutenable de nos ressources naturelles, est destinée à s'effondrer, selon Lester Brown, de l'Institut Politique de la Planète Terre ( Earth Policy Institute ) [ 7 ]. La tâche qui consiste à reconvertir notre système de production alimentaire pour le rendre soutenable ou durable, doit être abordée à grande vitesse "comme en temps de guerre".

Il a récapitulé succinctement les retombées et conséquences de l'économie environnementale avec la bulle financière [ 8 ]: " effondrement des pêches, diminution des forêts, extension des déserts, élévation des taux de gaz carbonique CO2, érosion des sols cultivables, élévation du niveau des températures, action sur les chutes d'eau, fonte des glaciers, détérioration des prairies, élévation du niveau des mers et océans, tendance à l'assèchement de rivières et de fleuves et disparitions d'espèces vivantes ."

Dans un trop grand nombre des régions principales de production alimentaire à travers le monde, telles que les greniers à grains de la Chine, de l'Inde et des Etats-Unis, les pratiques agricoles conventionnelles, comprenant une irrigation abondante, ont sévèrement épuisé les réserves des eaux souterraines [ 7, 8 ].

Dans le même temps, la production mondiale de pétrole semble avoir atteint son pic de production [ 9 ]; on s'attend à ce que le prix du pétrole atteigne un sommet de 58 $ états-uniens le baril au 4 avril 2005, et s'élève à 100 $ états-uniens le baril dans un délai de deux ans [ 10 ]. Ceci signifie une menace imminente pour l'agriculture industrielle conventionnelle, qui dépend, à la fois et fortement, du pétrole et d'eau.

Notre système actuel de production alimentaire est un legs de l'agriculture à taux d'intrants élevés résultant de la révolution verte, aggravée et favorisée par les politiques agricoles qui bénéficient d'abord aux sociétés transnationales de l'agrofourniture, et aux dépens des producteurs agricoles [ 11, 12 ]. Ses coûts réels deviennent évidents (voir l'encadré 1).

Encadré 1

Coûts réels des systèmes industriels de production alimentaire

  • 1.000 tonnes de l'eau sont consommées pour produire une tonne de grains [ 13 ]
  • 10 unités d'énergie sont dépensées pour chaque unité d'énergie dans les aliments qui arrivent sur notre table [ 14, 15 ]
  • Jusqu'à 1.000 unités énergétiques sont employées pour chaque unité d'énergie dans les produits alimentaires transformés [ 16 ]
  • 17% de l'énergie totale utilisée aux Etats-Unis entre dans plus la production de nourriture et la distribution, comptabilisée à 20% du total des transports dans le pays; ceci exclut l'énergie utilisée dans les importations et les exportations [ 17 ]
  • 12,5 d'unités d'énergie sont gaspillées pour chaque unité d'énergie de nourriture transportée par frêt aérien (par mile ou 1,6 km) [ 18, 19 ]
  • Les politiques agricoles communes de l'Union Européenne et de l'Organisation Mondiale du Commerce maximisent les échanges de produits alimentaires, ce qui a pour résultat un scandaleux "troc alimentaire" [ 20, 21 ]
  • Jusqu'à 25% de gaz carbonique CO2 , 60% du méthane CH4 et 60% du N 2 O dans le monde proviennent de l'agriculture actuelle[ 22 ]
  • 318 milliards de $ états-uniens, provenant de l'argent des contribuables, ont été dépensé pour subventionner l'agriculture dans des pays membres de l' OCDE en 2002, alors que, dans le même temps, plus de 2 milliards de paysans dans les pays en voie de développement s'efforcent de survivre avec 2 $ états-uniens par jour [ 11, 23 ]
  • Près de 90% des subventions agricoles bénéficient à des sociétés et à de grands exploitant cultivant des aliments pour l'exportation; tandis que 500 exploitations familiales ferment chaque semaine aux Etats Unis [ 11 ]
  • Des surplus de nourriture subventionnée sont exportés vers des pays en voie de développement où ils sont à l'origine, sur une très grande échelle, de la pauvreté, de la faim et de pauvres sans abris [ 11 ]

Les avantages des systèmes soutenables ou durables de production alimentaire pour chacun de nous

La tâche la plus pressante pour l'humanité est de mettre en place notre production alimentaire de manière soutenable ou durable ; c'est également la clef pour garantir une bonne santé publique et individuelle, pour une limitation du réchauffement climatique et pour sauver la planète de cette exploitation destructrice. Comme Gustav Best , le coordinateur senior pour les problèmes énergétiques de la FAO l'a précisé [ 22 ], l'agriculture est affectée par le changement climatique, elle contribue beaucoup et directement aux gaz à effet de serre directement, mais correctement conduite, elle peut jouer sur le long terme un effet régulateur sur le réchauffement climatique.

Les avantages des systèmes soutenables de production alimentaire deviennent évidents [ 24 ] (voir l'encadré 2). Il y a des opportunités majeures pour réduire les consommations d'énergie, pour rendre notre système alimentaire beaucoup plus efficace en matière d'énergie et même pour mettre à disposition de l'énergie en convertissant les déchets agricoles en de riches éléments fertilisants afin d'accroître la productivité, ce qui, dans le même temps, réduit des émissions de gaz à effet de serre, tout en augmentant les stocks et des puits de carbone .

Encadré 2

Quelques avantages des systèmes soutenables de production alimentaire

  • On peut prédire 2 à 7 fois d'économie d'énergie en passant à une agriculture biologique à faible taux d'intrants [ 17, 25 ]
  • 5 à de 15% des émissions globales de carburants fossiles sont compensées par la séquestration du carbone dans le sol dans un système d'exploitation biologique [ 26 ]
  • 5,3 à 7,6 tonnes d'émissions de gaz carbonique sont supprimées pour chaque tonne d'engrais azoté qui est économisée [ 27 ]
  • On peut stocker jusqu'à 258 tonnes de carbone par hectare dans les forêts tropicales [ 28 ], qui en outre, séquestrent 6 tonnes de carbone par hectare par an [ 29 ]
  • Les digesteurs de biogaz fournissent l'énergie et transforment les déchets agricoles en de riches éléments fertilisants dans des exploitations agricoles sans intrants ni émissions [ 30 ]
  • 625 mille tonnes d'émissions de gaz carbonique ont évitées tous les ans au Népal en récupérant le biogaz à partir des déchets agricoles [ 31 ]
  • Des rendements multipliés par 2 à 3 en Ethiopie par une utilisation de compost, ce qui surpasse les résultats obtenus avec des engrais chimiques [ 32 ]
  • Aux Etats-Unis, l' agriculture biologique donne des résultats comparables ou meilleurs qu'avec l'exploitation conventionnelle de type industriel [ 33, 34 ], et tout particulièrement en période de sécheresse [ 35 ]
  • En Europe, les exploitations conduites en agriculture biologique accueillent plus d'oiseaux, de papillons, de coléoptères, de chauves-souris et de fleurs sauvages que dans les exploitations conventionnelles [ 36 ]
  • Les aliments issus de l'agriculture biologiques contiennent plus de vitamines, de minéraux et d'autres oligo-éléments, ainsi que davantage d'antioxydants par rapport aux produits de l'agriculture conventionnelle [ 37-40 ]
  • 1.000 fermes soutenues par des communautés locales, à travers tous les Etats-Unis et le Canada, apportent un revenu de 36 millions de $ états-uniens par an directement aux exploitations [ 41 ]
  • Au Royaume Uni, de 50-78 millions de livres sterling entrent directement dans la poche des producteurs commerçant sur environ 200 marchés établis par des fermiers locaux [ 41 ]
  • Le fait d'acheter des produits alimentaires sur le marché des fermiers locaux, génère deux fois plus pour l'économie locale que la nourriture achetée dans les chaînes de supermarchés [ 42 ]
  • L'argent dépensé avec un fournisseur local équivaut à quatre fois l'argent dépensé avec un fournisseur extérieur [ 43 ]

Le modèle dominant n'est pas soutenable ni durable

Il y a une richesse dans les connaissances existantes et disponibles qui pourraient garantir la sécurité alimentaire et la santé pour tous et qui pourraient atténuer de manière significative le réchauffement climatique. Malheureusement, nos représentants élus sont avant tout des adeptes du modèle néo-libéral qui est en premier lieu à l'origine de la bulle financière et économique. Ils manquent de sagesse et de volonté politique pour faire la modification structurelle et politique qui est requise pour mettre en application ces connaissances.

C'est pourquoi l'Institut de la Science dans la Société ( ISIS ) et le Jury pour une Science Indépendante ( ISP ) ont lancé une " Initiative Globale pour un Monde Soutenable " afin créer une opportunité pour des scientifiques de toutes les disciplines, de joindre leurs forces avec tous les secteurs de la société civile , dans le but de rendre notre système d'alimentation soutenable [ 44 ].

Nous visons à produire un rapport complet à la fin de l'année qui présentera la base des connaissances existantes ainsi que les politiques socio-économiques et politiciennes, ainsi que les changements structurels qui sont requis pour mettre en application, pour tous, les systèmes soutenables d'alimentation. Le lancement de cette conférence a eu lieu au Parlement Britannique le 14 juillet 2005. Se reporter au compte-rendu disponible par : https://www.i-sis.org.uk/isp/SustainableWorld2ndAnnouncement.php ).

Le modèle économique dominant glorifie la compétitivité et la croissance illimitée comportant l'exploitation la plus dissipative et la plus destructrice des ressources naturelles de la terre qui a abouti à des gaspillages des terres agricoles et à l'appauvrissement de milliards de personnes.

Une étude pour l'Institut de Recherche pour la Politique Alimentaire Internationale révèle que, chaque année, 10 millions d'hectares de terres cultivables dans le monde entier sont abandonnés du fait de l'érosion de sol et que 10 millions d'autres hectares sont endommagés de façon critique par la salinité en raison de l'irrigation et/ou des méthodes de drainage inappropriées. Ceci s'élève à plus de 1,3 pour cent des terres cultivables perdus annuellement; et le remplacement des terres perdues compte pour 60% du déboisement massif qui se manifeste actuellement dans le monde entier [ 45 ].

Le fait de pratiquer la déforestation libère des stocks massifs de carbone vers l'atmosphère, transformant des stocks et puits de carbone en sources. Quelques évaluations ont placé le stock de carbone total des forêts tropicales secondaires à des valeurs aussi élevées que 418 tonnes de carbone par hectare, en comprenant le carbone organique du sol et le carbone est séquestré à raison de 5 tonnes par hectare et par an [ 46 ]. Une modification dans l'utilisation des sols représenterait 14% de toutes les émissions de gaz à effet de serre [ 4 ].

L'Organisation Mondiale de la Santé estime que plus de 3 milliards de personnes sont sous-alimentées et mal nourries (manquant de calories, de protéines, de fer, d'iode et/ou des vitamines A, du groupe B ainsi que de vitamines C et D). Parmi ceux-ci, 850 millions de personnes souffrent réellement de la faim (malnutrition énergétique et protéique) [ 47 ]. La cause principale de la faim est la pauvreté. Environ 1,08 milliards de personnes pauvres, dans les pays en voie de développement, vivent avec moins de 1 $US, ou moins; chez ces derniers, 798 millions d'habitants sont chroniquement affamés.

Le plus grand obstacle pour mettre en place un système alimentaire soutenable ou durable est peut-être l'engagement permanent dans le modèle économique dominant qui a échoué de façon si patente au contact des réalités. Nous avons d'ores et déjà enregistré sur le terrain beaucoup de réalisations positives – de véritables histoires à succès -, et j'ai décrit l'une d'entre elles brièvement par ailleurs (voir " Dream farms ", [30]).

[ ¤ La version en français est intitulée " La ferme visionnaire – Une proposition : Comment faire face au changement climatique et imaginer l'économie après la fin des combustibles et carburants fossiles " ; elle est accessible sur les sites suivants : www.indsp.org/pdf/DreamFarm-2-FR.pdf et www.apreis.org/actu_vf.html ]

Cela illustre plus concrètement un modèle alternatif de croissance équilibrée, soutenable ou durable , que j'ai élaboré au cours des huit dernières années [48-51], et qui vient d'être présenté récemment avec la collaboration de l'écologiste Robert Ulanowicz [52] dans sa forme définitive…

Article first published 29/06/05


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