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Le mystère de la disparition des abeilles

Au niveau des apiculteurs, depuis un certain temps déjà, les abeilles disparaissaient des ruches sans laisser de trace. Dr. Mae-Wan Ho et le Professeur Joe Cummins sont sur la piste de possibles coupables.

Le texte original en anglais et les références sont accessibles sur le web par : https://www.i-sis.org.uk/MysteryOfDisappearingHoneybees.php

Les abeilles disparaissant dans le monde entier

La première alarme a été déclenchée à l’automne 2006. Les abeilles disparaissaient alors à travers les Etats-Unis et la moitié des états étaient affectés : un apiculteur pouvaient perdre de 30 à 90 pour cent de ses colonies et, chez l’un d’entre eux, 9 ruches seulement sur 1.200 avaient survécu à la fin de l'hiver [1]. Le problème avait commencé il y a plus de deux ans et il s’est intensifié au cours des derniers mois [1-5].

Les abeilles disparaissent simplement d’une manière relativement soudaine et peu ou pas d'adultes morts se retrouvent dans les ruches et autour de celles-ci, ne laissant apparaître que la reine et quelques jeunes abeilles. Dans ces cas, où la colonie semble s'effondrer rapidement, les ouvrières semblent se composer de jeunes abeilles qui sont  insuffisantes pour alimenter la couvain et qui sont peu enclines à consommer l'alimentation fournie [5]. Ce « syndrome d'effondrement des colonies » est particulièrement dévastateur pour les producteurs de fruits et de certains légumes, car ces espèces cultivées dépendent des insectes pollinisateurs.

Depuis lors, le "syndrome d'effondrement des colonies" a été rapporté en Allemagne, en Suisse, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Grèce et Royaume-Uni [6], où l’un des plus importants apiculteurs a perdu 23 de ses 40 ruches. Mais le Ministère de l'environnement, de l’alimentation et des affaires rurales au Royaume-Uni (Department of the Environment, Food and Rural ou DEFRA) a indiqué « qu’il n'y avait absolument aucune preuve  du "syndrome d'effondrement des colonies"au Royaume-Uni ».

Ce "syndrome d'effondrement des colonies" a dérouté les scientifiques, parce que personne n’en connaissait la cause [5], et des efforts continus furent faits afin identifier des agents pathogènes possibles chez les abeilles, ainsi que des résidus de produits chimiques dans le pollen, dans le miel et dans les abeilles elles-mêmes.

Des virus, des maladies fongiques, des acariens parasites, des pesticides ou des produits chimiques conçus pour contrôler les acariens, ont été pris en compte par les autorités [7], tout comme les plantes génétiquement modifiées [8-9] et les téléphones portables [10] (Mobile Phones and Vanishing Bees, dans la même série). Quelles peuvent donc bien être les preuves disponibles pour ces différents suspects ?

L’ampleur et les causes du déclin sont toutes deux inconnues

En octobre 2006, le Comité national de Conseil pour la Recherche des Etats-Unis a publié un rapport sur l’état des pollinisateurs en Amérique du Nord [7]. Mais le rapport était plutôt maigre sur les données et les informations quant à l'ampleur précise du déclin des abeilles ou ses causes.

Le rapport s’est étendu en détail sur les acariens parasites introduits et sur l’agent pathogène bactérien qui cause la loque américaine du couvain, car il existe une abondante littérature scientifique sur ces sujets. Mais il a à peine désigné les pesticides ou les plantes génétiquement modifiées et il n'a même pas mentionné les téléphones portables.

Des infestations par des acariens

Les acariens parasites introduits, Varroa destructor et Acarapsis woodi, ont commencé à causer des infestations chez les abeilles depuis la fin des années 1980 et la généralisation de l'infestation par les acariens s’est faite aux Etats-Unis sur une période d’une décennie. Varroa destructor est un parasite externe de l'abeille qui a causé des déclins dramatiques chez les abeilles en Amérique du Nord et dans le monde entier.

Pendant l'hiver 1995-1996, les apiculteurs du Nord des Etats-Unis ont éprouvé leurs plus grandes pertes de l'histoire ; quelques états ont perdu de 30 à 80 pour cent de leurs colonies d’abeilles. Ces pertes se sont produites en faisant lourdement appel à des pesticides pour contrôler les populations d'acariens. La résistance des acariens aux pesticides s’est largement répandue et beaucoup d'apiculteurs ne peuvent plus employer les quelques pesticides enregistrés et autorisés pour la lutte contre le Varroa.

Acarapi woodi est un acarien, parasite interne des abeilles, qui sévit au niveau de la trachée. Il a été détecté la première fois aux Etats-unis en 1984 et il a provoqué au début de sérieux dégâts aux colonies, mais il semble y avoir [chez les abeilles] une résistance aux acariens qui est transmissible par hérédité.

Les acariens parasites ne peuvent pas expliquer le "syndrome d'effondrement des colonies" car il n'y a actuellement aucune preuve que l'infestation par ces acariens soit directement impliquée, bien qu'elle puisse y contribuer indirectement en réduisant l'immunité des abeilles aux infections par des virus, par des bactéries et par des champignons (voir ci-dessous).

La loque, en anglais Foul brood disease, est une maladie bactérienne qui sévit chez les abeilles

Les larves de Paenibacillus constituent l’agent pathogène le plus grave chez les abeilles. Elles causent la loque américaine des couvains, une maladie des larves d'abeilles. Ce parasite est fortement virulent et il s’est facilement disséminé parmi les colonies d’abeilles ; il est généralement mortel s’il n’est pas traité. Pendant la première moitié du siècle dernier, la loque américaine constituait la menace la plus grave en apiculture et se traduisait par d’énormes pertes au sein des colonies.

L'incidence de la loque américaine a été nettement réduite par l'introduction des antibiotiques et par le programme gouvernemental d'inspection qui exigeait la destruction par le feu des ruches infectées. Cependant les spores de la bactérie responsable de la loque américaine sont résistantes aux antibiotiques et elles peuvent persister sur l'équipement infecté pendant plus de 80 années. Le traitement des colonies touchées par cet agent pathogène bactérien, a éliminé les symptômes de la maladie, mais le retrait des antibiotiques est généralement suivi de réapparition de la maladie. La résistance aux antibiotiques s’est également généralisée depuis 1994.

Comme dans le cas des acariens parasites, la loque américaine des couvains n'est pas non plus associée au "syndrome d'effondrement des colonies".

Les pesticides sont sur la sellette

L'utilisation des pesticides, particulièrement des insecticides, sur les plantes cultivées, est connue pour tuer ou pour affaiblir tous les ans des milliers de colonies d'abeilles aux Etats-Unis et des destructions locales d'abeilles se sont produites sporadiquement au cours des décennies.

Cependant, le rapport officiel (NAS) a considéré comme peu probable que les pesticides aient pu « contribuer sensiblement » au déclin récent des abeilles. Le rapport a énoncé [voir la référence 7, page 79] : « La plupart des destructions d’abeilles imputables aux pesticides, sont le résultat d’accidents, de négligence dans les applications ou d’un manque de respect des recommandations et des avertissements qui figurent sur les étiquettes d’emballage ».

Le rapport a évidemment ignoré les effets sub-léthaux, en particulier des nouveaux pesticides qui peuvent s'avérer être l'un des facteurs élémentaires les plus significatifs qui contribuent au déclin actuel des abeilles (voir par la suite).

Certains parasites réduisent le système immunitaire des abeilles

L'infestation par les acariens du Varroa réduit la réaction immunitaire des abeilles, les prédisposant à des infections par les virus, les bactéries ou les champignons [11, 12]. Un certain nombre de maladies virales sont amplifiées au sein d’une colonie d’abeilles infestées, en particulier la maladie virale des ailes déformées, qui cause une infirmité paralysante chez les abeilles [13].

De nombreux virus infestent fréquemment les abeilles attaquées par le parasite Varroa. Ces virus sont disséminés non seulement par le parasite lui-même, mais également de façon verticale à partir de la reine de la ruche vers le couvain [14, 15].

Les colonies infestées par ce parasite sont fréquemment traitées avec un insecticide de la famille des pyréthroïdes, le fluvalinate, mais le parasite s'est ensuite montré résistant à cet insecticide [16] ; ce plus, cet insecticide peut défavorablement influencer le comportement des abeilles (voir ci-dessous).

Les abeilles possèdent 17 familles de gènes qui sont impliquées dans l'immunité [17], soit approximativement un tiers du nombre de gènes d'immunité qui se trouvent dans les drosophiles et chez les moustiques Anopheles sp.. Les abeilles semblent avoir une flexibilité limitée vis-à-vis de l’immunité et cela peut les rendre plus sensibles aux agents pathogènes dévastateurs.

Les pesticides perturbent le comportement des abeilles à des concentrations sub-léthales

De nombreux pesticides se sont avérés agir comme un perturbateur du comportement des abeilles après une exposition à des doses sub-léthales [18]. Une grande gamme de pesticides, comprenant notamment le fluvalinate (un produit chimique qui est utilisé pour l’élimination des parasites sur ruches), ont perturbé le comportement des abeilles, en entraînant des problèmes d’orientation dans leurs déplacements et d’accès à la nourriture [19].

Les abeilles souffrant d’intoxications, par des doses sub-léthales de pesticides, présentent un comportement qui ressemble à celui des abeilles décrites par les observateurs dans les cas de "syndrome d'effondrement des colonies". Des doses sub-léthales de fipronil (un insecticide vétérinaire) sont capables d’altérer le processus de mémoire olfactive chez les abeilles [20].

Lorsque la spécialité Spinosad, un insecticide naturel qui est très utilisé, est présente dans le pollen destiné à l’alimentation des bourdons, ces derniers présentent un ralentissement de leur comportement de collecte de pollen, tandis qu'une dose plus élevée de cet insecticide provoque la mort de la colonie dans un délai de deux à quatre semaines [21]. Voir l’étude Requiem for the Honeybee [22] qui apporte d’autres preuves, sur le fait que des effets sub-léthaux des pesticides peuvent constituer le facteur élémentaire le plus important dans la disparition des abeilles.

Les plantes génétiquement modifiées (OGM) peuvent avoir des effets sub-léthaux sur les abeilles

La possibilité que les plantes génétiquement modifiées, cultivées en Amérique du Nord, puissent contribuer au déclin des abeilles, a reçu peu d’attention de la part du Comité NRC [National Research Council, le Conseil National pour la recherche) [7] bien que la synchronisation du déclin des abeilles semble coïncider avec la dissémination sur de grandes superficies des plantes génétiquement modifiées. Des plantes ont été modifiées génétiquement pour leur conférer une tolérance à des herbicides, et particulièrement au gyphosate, ou pour renfermer des biopesticides (les toxines Bt Cry provenant du Bacillus thuringiensis), ou encore pour associer ces deux caractères à la fois dans le même matériel végétal.

Les toxines de biopesticide, produites dans les plantes Bt génétiquement modifiées, ne sont pas fortement ni intrinsèquement toxiques pour les abeilles, mais elles sont toxiques pour les papillons et les coléoptères. Néanmoins, dans certaines circonstances, les toxines peuvent tuer des abeilles ou modifier leur comportement.

La toxine Bt Cry1Ab provoque une réduction de l’activité des abeilles après qu'elles sont  alimentées avec un sirop contenant cette toxine. Cependant, la toxine Bt produit des impacts moins prononcés sur le comportement des abeilles que ne les induisent des pesticides chimiques comme la deltaméthrine ou l'imidaclopride [23].

Les bactéries Bt ont causé la mortalité des abeilles lorsque qu’elles se trouvaient présentes dans des bouillons de cultures ou dans des solutions sucrées [24]. Un certain nombre de toxines Bt Cry purifiées ont été étudiées au laboratoire pour déterminer leur toxicité chez les abeilles et chez les bourdons. Pour la plupart, ces études ont montré que les toxines Bt ne présentaient peu de danger. Mais les effets sub-léthaux sur les abeilles n'ont pas été abordés dans ces expériences [25].

Dans une série d'expériences effectuées à Iéna, en Allemagne, il s’est avéré que les abeilles n’ont pas affectées lorsqu’elles étaient nourries avec un régime de pollen contenant plus de 100 fois la concentration de la toxine qui se trouve dans le pollen d’un maïs ; de même, des essais d'alimentation sur des larves n'ont également montré aucun effet. Dans la nature, des colonies d'abeilles en vol ont été alimentées avec du pollen de maïs Bt, auquel il avait été ajouté une concentration 10 fois supérieure de toxine Bt. Là encore, aucun effet négatif n'a été détecté. Mais une infestation fortuite par un parasite du groupe des microsporidies a produit significativement plus de dommages dans les colonies alimentées avec Bt, comparativement avec ce qui se passe chez les colonies témoins, sans addition de Bt. [26].

Une autre limitation des expériences qui ont été conduites jusqu’ici, réside dans le fait qu'elles ont été effectuées avec des toxines dérivées des bactéries, et non pas avec une toxine transgénique dérivée de plantes cultivées transgéniques Bt ; les premières toxines [émises par des batéries] sont connues pour avoir des propriétés très différentes, comme nous l’avons déjà précisé à plusieurs reprises, et encore tout récemment dans l’étude intitulée GM Maize 59122 Not Safe [27] (SiS 34).

Il a été rapporté que le pollen de colza 'canola' transgénique, tolérant au glyphosate, ne constitue aucune menace pour les abeilles [28].

Cependant, dans des expérimentations conduites dans l’Etat de l’Alberta au Canada, avec une conduite en agriculture conventionnelle et en agriculture biologique, ainsi qu’avec un colza 'canola' transgénique tolérant à cet herbicide, et pour ce qui concerne la pollinisation par les abeilles sauvages, les parcelles expérimentales portant le colza 'canola' transgénique tolérant à cet herbicide, ont présenté le plus grand déficit de pollinisation, alors que les parcelles de terrain correspondant aux cultures conventionnelles et aux cultures conduites selon l’agriculture biologique, étaient également bien visitées par les abeilles sauvages [29].

Il apparaît clairement qu’il existe une évidence suffisante pour exiger des recherches et des investigations beaucoup plus approfondies sur les impacts sub-léthaux des plantes cultivées génétiquement modifiées sur les abeilles, telles que le comportement d’apprentissage et d’alimentation, ainsi que sur leur immunité vis-à-vis des maladies.

Les conséquences potentielles du déclin des insectes pollinisateurs sur les plantes cultivées vivrières peuvent se manifester et leur impact sur la biodiversité peut être irréversible [30].

Relation entre les téléphones portables et le déclin des abeilles

Dans un rapport qui a été largement répandu dans les médias traditionnels, il a été indiqué que les téléphones portables peuvent être responsables du déclin des abeilles [voir par exemple la référence 6, 31]. Les résultats sont en effet effrayants. Pour plus de détails, on peut consulter l’étude intitulée Mobile Phones and Vanishing Bees [10].

Ces résultats devraient être considérés dans le contexte d’une évidence qui apparaît de plus en plus clairement, et qui indique que les faibles rayonnements émis par les téléphones portables et les stations de base d’antennes relais, ont des effets nocifs sur la santé des êtres humains et de la faune sauvage [32] (Drowning in the Sea of Microwaves, SiS 34).

Le mystère reste entier

Le mystère de la disparition des abeilles est loin de résolu. Jusqu'ici, les plus grands suspects sont les pesticides et les rayonnements des stations de base de téléphone portable. Cependant, il est probable que les effets sub-léthaux dus aux plantes cultivées génétiquement modifiées, les infestations par des acariens et d'autres facteurs, puissent changer le comportement des abeilles, affecter leur mémoire et leur processus d’apprentissage, ou encore que ces effets sub-léthaux compromettent leur santé et leur immunité et qu’ils aient tous un rôle à jouer.

Les abeilles peuvent être l’un de nos indicateurs les plus sensibles, parmi les espèces vivantes, pour toutes les pollutions environnementales et technologiques qui sont  dangereuses et que nous perpétuons. Lorsque que les abeilles se mettent à disparaître, il se peut que notre tour arrive très rapidement.

Traduction

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.

Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles honoraire,

Adresse : 19 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France

Courriel : jacques.hallard921@orange..fr

Garth Riley interviews Professor Joe Cummins, Institute of Science in Society about the disappearance of the honey bees. This interview can be viewed by following this link: http://video.google.ca/videoplay?docid=6349049123736600538

Article first published 26/04/07


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