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Brésil : le pays des biocarburants

La rapide expansion de l'industrie des biocarburants au Brésil fait peser de sérieuses menaces pour la survie de certaines populations et pour la planète, d'après le Dr. Mae-Wan Ho

La version originale en anglais s'intitule Biofuels Republic Brazil ; elle contient toutes les références bibliographiques et elle est accessible par les membres de l'Institut I-SIS sur le site suivant : www.i-sis.org.uk/Biofuel RepublicBrazil .php

La production intégrée de bioéthanol et de biodiesel

Le Président Lula a récemment inauguré Barralcool, la première usine intégrée de biocarburants qui produira de l'éthanol à partir de la canne à sucre et du biodiesel à partir d'espèces végétales à graines oléagineuses [1]. Le programme brésilien du bioéthanol remonte au moins à la crise pétrolière des années 1970 et le Brésil a été le marché le plus avancé des biocarburants dans le monde pendant des décennies. Il existe actuellement en fonctionnement près de 300 installations industrielles pour broyer la canne à sucre pour produire de l'éthanol et une soixantaine d'autres sont en cours d'installation ou en construction.

Au niveau mondial, la demande croissante en biocarburants a fourni une opportunité, non seulement pour accroître la production d'éthanol à partir de la canne à sucre, mais également pour sauver son activité industrielle déclinante autour du soja, en transformant l'huile de soja en un autre biocarburant, le biodiesel.

Le secteur de soja est dans sa plus mauvaise passe depuis des décennies et les industriels qui broyent les graines soja ont connu un sérieux déclin. Les grandes sociétés multinationales telles que Archer Daniels Midland et Bunge ont été amenées à fermer plusieurs de leurs usines au cours des dernières années.

La nouvelle usine de production d'éthanol et de biodiesel à Barra do Bugres, dans l'état du Mato Grosso, au coeur de la ceinture de soja du Centre-Ouest du Brésil, a produit de l'éthanol à partir des champs de canne à sucre environnants pendant plus de 20 ans, mais Dedini , l'un des principaux fournisseurs de biodiesel et de sucre-éthanol et qui possède des usines de cogénération au Brésil, a construit une usine intégrée pour la fabrication de biodiesel sur cet emplacement, avec un investissement de 27 millions de Reals (12,5 millions de $ US).

Le gouvernement Lula a récemment fait passer une législation qui va exiger la distribution des mélanges à 2 pour cent de biodiesel fabriqué à partir des plantes à graines oléagineuses comme le soja, le tournesol ou le ricin, dans toutes les stations de commercialisation du diesel provenant du pétrole d'ici à 2008, avec une augmentation prévue à 5 pour cent en 2013. Quelques centaines de stations de distribution de carburants proposent déjà de tels mélanges. Il y a au Brésil environ une dizaine d'usines de biodiesel en fonctionnement et une quarantaine d'autres sont en cours de construction.

Actuellement, environ la moitié de la production de canne à sucre brésilienne est dirigée vers la production de bioéthanol et le reste sert au raffinage du sucre.

De nos jours, les automobilistes peuvent choisir de faire le plein avec 100 pour cent d'éthanol vendu à la moitié du prix d'un carburant pétrolier, à partir de plus de 30.000 stations de distribution de carburants à travers tout le pays. L'éthanol représente 40 pour cent de toute la consommation des carburants autres que le gazole.

Le Brésil a produit 15.9 milliards de litres de bioéthanol en 2005, soit plus d'un tiers de l'offre mondiale et il est en seconde position, juste derrière les Etats-Unis. Le secteur du bioéthanol brésilien est le seul programme à grande échelle de biocarburant qui est maintenant capable de se développer sans subventions de gouvernement. A l'opposé, le bioéthanol fabriqué aux Etats-Unis à partir du maïs est fortement subventionné [2] ( Biofuels for Oil Addicts , SiS 30). [ ¤ La version en français s'intitule ' Energie - Des biocarburants pour les inconditionnels du pétrole - Quand la solution alternative est pire que la dépendance ' ; elle sera bientôt disponible sur Internet].

Le Brésil est bien placé pour doubler sa production de bioéthanol dans la décennie qui vient et le marché à terme s'est accru de 62 pour cent en 2005, grâce une demande croissante de l'Union Européenne, des Etats-Unis, de la Chine, du Japon, de l'Inde et d' ailleurs. Le Brésil est également prêt à s'engager dans la production de biodiesel pour l'exportation, en utilisant le soja, l'huile de palme et l'huile de ricin, pour répondre à une énorme demande. Le Brésil a émergé en tant que plus grand producteur de biocarburants au monde et il grandit sans cesse (voir l'article The New Biofuel Republics ( SiS 30) [3]. [ ¤ La version en français s'intitule ' Les nouvelles républiques des biocarburants ' ; elle sera bientôt disponible sur Internet].

Le bioéthanol obtenu à partir de canne à sucre est-il soutenable ?

Le bioéthanol du Brésil est souvent considéré comme modèle de production soutenable de biocarburant et ceci semble avoir été confirmé par un rapport diffusé en octobre 2006 par le 'groupe de travail 40 sur les bioénergies' de l'Agence Internationale de l'Energie, International Energy Agency's Bioenergy Task 40 qui analyse la production des bioénergies et les marchés des biocarburants [4, 5].

Le rapport a conclu que, d'une façon générale, la production de l'éthanol à partir de canne à sucre, tel qu'elle est actuellement pratiquée au Brésil, est « soutenable en terme d'environnement . »

Les biocarburants sont évalués et classés en terme de bilan énergétique, c'est-à-dire les unités d'énergie des biocarburants produits par unité d'énergie consommée ; mais également en terme d'émissions de carbone épargnées, ainsi qu'en considérant le pourcentage des émissions de gaz à effet de serre économisées en produisant et en employant le biocarburant au lieu de produire et d'employer la même quantité d'énergie en provenance des ressources fossiles [6] ( Biofuels: Biodevastation, Hunger & False Carbon Credits , dans cette même série). [ ¤ La version en français s'intitule ' Energie Biocarburants : dévastation biologique, famines et crédits de carbone faussés ' ; elle sera bientôt disponible sur Internet].

On estime que l'éthanol de canne à sucre a un bilan énergétique stupéfiant, de 8,3 en moyenne, mais qu'il peut atteindre 10,2 dans le meilleur des cas. Il surpasse loin le bilan énergétique de n'importe quel autre biocarburant, particulièrement ceux produits dans des régions tempérées. L'économie de carbone qui tourne autour de 85 à 90 pour cent, est également plus importante qu'avec n'importe quel autre biocarburant.

Le rapport sur la soutenabilité ou la durabilité du bioéthanol brésilien [5], a été commissionné par SenterNovem , une agence des Pays Bas pour le développement soutenable et l'innovation ; il a été réalisé par l'institut de Copernic (de l'Université d'Utrecht aux Pays-Bas) et Unicamp, l'Université de l'Etat de Campinas au Brésil. Les résultats sont très parlants pour l'exportation de l'éthanol de canne à sucre brésilien et l'Europe sera l'importateur principal.

Le succès relatif du bioéthanol de canne à sucre provient du taux de croissance prolifique de cette plante dans les régions tropicales du Brésil, d'une part, et d'un procédé de production en cycle fermé : l'énergie qui est nécessaire pour le raffinage et la distillation du produit brut, provient de la combustion des résidus et, par conséquent, aucun combustible fossile n'est nécessaire pour ces opérations. Le raffinage et la distillation sont de très grands consommateurs d'énergie, particulièrement pour la fabrication du bioéthanol.

Mais est-il vraiment soutenable comme il est annoncé dans le rapport ? Ce dernier a employé un ensemble de critères de soutenabilité ou de durabilité, rédigé par une Commission parlementaire des Pays Bas : ce sont des éléments préliminaires par nature, avec encore beaucoup d'incertitudes dues à des désaccords parmi les dépositaires.

Les critères incluent : une économie de carbone de 30 pour cent ou plus en 2007, atteignant jusqu'à 50 pour cent ou plus encore en 2011 ; des dispositions pour la protection de la biodiversité dans des secteurs sensibles, qui est plutôt faible ; la fixation d'une limite qui ne prévoit pas plus de 5% de conversion des forêts en nouvelles mises en culture, dans un délai de 5 ans ; l'absence d'impacts économiques négatifs sur la région ou la nation ; la conformité aux normes sur le plan de l'assistance sociale, telle que le droit du travail, les droits de l'homme, les droits de propriété et d'exploitation ; des lois anti-corruption ; une conformité par rapport aux lois environnementales qui concernent la récupération et la gestion des déchets ; et enfin l'utilisation des OGM, organismes génétiquement modifiées.

Parmi les soucis principaux figurent les impacts écologiques et sociaux, y compris la sécurité alimentaire. Il n'est pas établi jusqu'à maintenant, comment l'utilisation de terres de culture supplémentaires pour la canne à sucre va impacter la biodiversité ou entrer en compétition avec les surfaces agricoles utiles qui sont nécessaires pour produire les aliments.

Ce rapport n'a pas du tout traité le bien-être social, et tout spécialement dans un pays comme le Brésil où les droits de l'homme et les droits des propriétés foncières cultivables sont encore problématiques. Il n'y a également aucune prise en compte des impacts sur la santé des ouvriers et des populations en général.

L'impact de la culture intensive de la canne à sucre sur le carbone organique de sol, en particulier comme résultat des changements dans l'utilisation des terres, n'a pas également suscité toute l'attention qui lui est due.

Une étude publiée en 1999 a mis en relief une diminution en carbone organique du sol de 24 pour cent sur 20 ans, lorsque la forêt a été transformée en pâturages au Brésil. Les 47 tonnes de carbone retenues par hectare de pâturages ont été encore réduites de 22 pour cent au cours des 20 années suivantes après qu'une plantation de canne à sucre a été établie sur les pâturages [4].

La canne à sucre s'étend sur l'Amazonie, mais bien plus encore sur la forêt atlantique et sur le Cerrado , un type d'écosystème de savane très particulier doté d'une très grande biodiversité. Deux tiers du Cerrado ont été détruits ou dégradés [7]. Par ailleurs, la canne à sucre également n'offre pas non plus d'abris ni d'habitats pour les oiseaux. Si la culture de la canne à sucre venait à augmenter, les perspectives pour la biodiversité mondiale seraient vraiment sinistres.

Un rapport de WWF , remis en 2005 à l'Agence Internationale de l'Energie, a suggéré que le programme du bioéthanol au Brésil réduirait les émissions de gaz carbonique par les transports de 9 millions de tonnes par an, mais 80 pour cent des émissions de gaz à effet de serre du pays sont dus au déboisement.

Une étude a montré qu'un hectare de terre au Brésil permet la culture d'assez de canne à sucre pour préparer une quantité d'éthanol qui peut épargner 13 tonnes de CO 2 par an. Mais si l'on permettait aux forêts naturelles de se régénérer sur le même hectare de terre, les arbres absorberaient 20 t de CO 2 chaque année.

Le biodiesel obtenu à partir du soja est de loin le plus mauvais

Le soja est certainement le choix le plus préjudiciable - non seulement parce qu'il présente un bilan énergétique peu favorable et une économie de carbone très limitée - mais parce que la monoculture du soja est la cause majeure de la destruction de l'Amazonie, bien avant toutes les autres activités, y compris l'élevage intensif et l'exploitation forestière du bois [8] ( Soya Destroying Amazon , SiS 20). Il est directement responsable de la destruction des forêts atlantiques du Brésil.

Le taux de déboisement en Amazonie avait diminué pendant huit années, jusqu'en 2003, quand il a soudainement augmenté, presque uniquement en raison de la monoculture du soja. Cette activité est en grande partie contrôlée par la société Gruppo Maggi qui appartient au gouverneur de l'état amazonien du Mato Grosso et la société Cargill des Etats-Unis est l'exportateur principal.

Jusqu'ici, le soja était principalement cultivé pour l'alimentation des animaux, dans le but de satisfaire la demande de l'Europe en soja non-OGM, mais aussi des Etats Unis et de la Chine. Le programme de biocarburant à base de soja [biodiesel] est soutenu par le gouvernement du Président Lula et il est certain qu'il accélère la destruction de la forêt amazonienne.

Les terres des Indiens Enawene Naw ' dans le Mato Grosso ont été rapidement dégagées pour des cultures de soja et de l'élevage extensif de bovins [7]. Le gouverneur de l'état qui est aussi le magnat du soja, Blairo Maggi, l'un des plus grands producteurs du soja du monde, projette de construire des barrages hydroélectriques sur ses terres pour fournir l'énergie nécessaire à l'industrie du soja. Il incite également le gouvernement fédéral à ne pas reconnaître les terres des indiens dans son état du Mato Grosso.

En 2004, les trois quarts du soja importé au Royaume-Uni provenaient du Brésil. Il ne reste plus maintenant que 420 Indiens Enawene Nawe . Ils sont l'une des rares tribus qui ne mangent aucune viande rouge et ils dépendent de la prise de poissons et de la récolte du miel de la forêt pour survivre. Les organisations des indiens brésiliens indiquent que sous le gouvernement Lula, la délimitation de leurs terres s'est presque arrêtée. La violence contre des Indiens a augmenté et leur santé s'est sérieusement détériorée : la mort des enfants des suites des famines a atteint des niveaux record. Il ne faut pas s'étonner que les Indiens d' Enawene Nawe disent que « le soja nous massacre tous » ; le biodiesel de soja pourrait bien mettre la dernière main pour les faire disparaître.

C'est potentiellement catastrophique pour le réchauffement climatique et pour la biodiversité

L'Amazonie est l'un des plus grands puits de carbone terrestres et cette disparition augmenteraient considérablement les émissions de carbone et contribuerait au réchauffement climatique de la planète, peut-être avec une augmentation de 0.6°C jusqu'à 1,5°C de plus que le réchauffement déjà prédit par le GIEC pour le présent siècle [8].

Les scientifiques sont de plus en plus intéressés par le seuil probable de déboisement au delà duquel l'écosystème entier pourrait s'effondrer et commencer à régresser [9] ( Why Gaia Needs Rainforests , SiS 20). La raison en est qu'une grande partie des précipitations qui s'abat sur la forêt est recyclée ; l'eau est absorbée par les arbres, puis renvoyée dans l'atmosphère par évapotranspiration. On estime qu'environ 7.000 milliards de tonnes d'eau sont recyclées, ce qui contribue au refroidissement de l'atmosphère immédiatement au-dessus des massifs forestiers.

Le cycle de l'eau - qui alimente les activités agricoles dans la région et ailleurs - pourrait être bouleversé et cela pourrait affecter jusqu'aux grandes plaines qui produisent les céréales aux Etats Unis [10] ( Why the United States Needs the Amazon , SiS 20).

Une sécheresse permanente au-dessus du bassin de l'Amazonie pourrait réduire sérieusement les approvisionnements alimentaires mondiaux qui sont déjà en régression ; dans le même temps, il pourrait en résulter des quantités toujours plus importantes d'émissions de carbone dans l'atmosphère, dans une spirale ascendante catastrophique du réchauffement planétaire qui conduirait à l'extinction la plupart des espèces vivantes sur terre, y compris la nôtre.

Article first published 18/12/06


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